Mais qui sont les étrangers ? Mais, tous ceux qui ne sont pas Ardéchois, pardi !

En 1907, on ne plaisante pas au Syndicat d’initiative du Vivarais. Il faut balayer devant chez soi et garder son plus beau sourire devant ces drôles d’oiseaux venus envahir notre belle région !

Alors, lisez bien la recommandation faite aux autochtones que nous sommes et n’oubliez pas de prévenir les enfants « On dit bonjour aux étrangers » ! !

 

 

 

 

Affichette parue dans Vivarais tourisme séjour : organe officiel du Syndicat d’initiative du Vivarais, n°15, 15 juin 1907, PER 1588 1	Vivarais tourisme séjour, 1907-1911, PER 1588.

 

Cette annonce pourrait offusquer les citoyens du XXIe siècle, mais au début du XXe siècle, les Français ne sont ni touristes ni même voyageurs. Le tourisme à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, n’est pas un tourisme de masse, mais un tourisme de classe. Ce sont les aristocrates et la bourgeoisie locale, clientèle aisée, pour la plupart curistes de la station thermale de Vals-les-Bains qui profitent de la beauté des paysages de l’Ardèche. Des chemins embourbés, des cours encombrées, des maisons mal entretenues pourraient rebuter ces touristes délicats ! Et ce sont en tout point des étrangers : pas du même milieu ni du même monde. S’adapter, changer, se conformer à certaines règles, c’est bien ce que demande cet article. Et on implique la jeunesse, pour lui apprendre que l’Ardèche est un trésor et qu’elle peut faire sa fortune. Le ton et les injonctions sont bien un appel à la capitalisation du patrimoine paysager de l’Ardèche, avec ce qu’il implique : sens de l’accueil, propreté et sécurité des lieux pour fixer et faire revenir ces curieux éblouis par la beauté de notre beau département.

 Grand hôtel des Bains, Vals-les-Bains, fin XIXe siècle, 95 J, collection du Syndicat d’initiative du Vivarais.

A Vals-les-Bains, l’équipement hôtelier est solide (14 hôtels et 38 meublés en 1895), des loisirs disponibles (casino ouvert en 1898, musique...), le cadre est agréable (jardins, promenades...) et offre des possibilité d'excursions grâce à des voituriers puis à des services automobiles. On conçoit donc qu'il n'y a pas que des curistes parmi les 15 à 20 000 personnes qui fréquentent la station vers 1900, à commencer par les familles de curistes à la recherche de distractions. C'est à partir de Vals, comme le rappelait le vicomte de Vogüé, que les grands sites ardéchois, popularisés par les affiches, sont révélés au grand public. Du côté cévenol on admire les orgues basaltiques des vallées de l'Ardèche, de la Volane et de la Fontaulière et, plus loin, le lac d'Issarlès et le Gerbier de Jonc tandis qu'à l'aval on part à la découverte des défilés de Ruoms, du bois de Païolive et des gorges de l'Ardèche dont la descente s'effectue en barque.

 Encart paru dans Vivarais tourisme séjour, début XXème siècle, 95 J, collection du Syndicat d’initiative du Vivarais.

Ces excursions d'ailleurs sont facilitées par le bon réseau routier du XIXe siècle et les responsables du Syndicat d'initiative du Vivarais se plaisent à reconnaître l'excellence des routes dont « les rampes ne dépassent pas 7% grâce à la sagesse du Conseil Général ». Mais d'autres facteurs vont intervenir, développement du réseau du Vivarais par la Compagnie des chemins de fer départementaux (C.F.D.), suivi par les tramways, au succès plus incertain, mode de l'air pur, pèlerinage religieux, retour périodique des émigrés ardéchois, propagande touristique du Syndicat d’initiative du Vivarais, des C.F.D. et du P.L.M., lesquels vont contribuer au lancement de Saint-Agrève, à la transformation touristique de Lalouvesc et à la création d'un tourisme « vert » assez diffus, de la Montagne au plateau de Vernoux.

 Affiche du PLM, début XXe siècle, 3 FI.

Le Syndicat d’initiative du Vivarais tient son assemblée constitutive le 26 juin 1904. Son objet est de « faire connaître les beautés du département » (art. 1 des statuts) et son fonctionnement doit être assuré par des subventions des communes et du Conseil Général, ce qui montre bien son rôle départemental, et des allocations des sociétés d'excursion et de chemin de fer (art.21). Même si les Valsois sont prépondérants dans le premier conseil d'administration (7 membres sur 20), presque toutes les régions sont effectivement représentées, d'Annonay à Largentière. En 1905 la liste des adhérents (265 membres) montre que les hôteliers et propriétaires de villa sont loin d'être les seuls à encourager l'effort d'organisation touristique (21% des membres) car on relève 14% d'industriels, 14% de commerçants et d'artisans, 14% de professions libérales et 7% d'hommes politiques. Au cours du banquet des fêtes d'inauguration du syndicat (26-28 août 1905) le député Astier dresse, devant Clémentel, ministre des Colonies, le programme du nouveau-né : « qu'a-t-il manqué jusqu'à ces derniers temps à ces contrées pour être connues, visitées, admirées comme elles méritent de l'être ?... la publicité, le confort des hôtels et les moyens de communication ».

 Photo parue dans : Pierre Audigier : Commandeur de la Légion d'Honneur le 14 Août 1948, Imp. J. Chafrotte, 1948, BR 1542.

Grâce à l'entregent de Pierre Audigier, secrétaire puis président du syndicat, responsable du bureau national des fédérations de syndicats d'initiative créé en 1918, la propagande touristique prend un essor vigoureux. Avant 1914 il publie un petit guide gratuit, tiré à 60 000 exemplaires pour la version française en 1911, avec des versions anglaise, espagnole, italienne, allemande, sans oublier l'espéranto (10 000 exemplaires) et l'Ido, autre langue internationale ! On fait appel aux citations prestigieuses d'E.M. de Vogüé, de Martel, pour les grottes, d'Elisée et Onésime Reclus et on ne craint pas d'affirmer que les terrains de ski sont supérieurs à ceux de la Suisse et permettent « d'effectuer sans danger à des vitesses folles des courses admirables ». Sont mis également à la disposition des touristes ou des professionnels une brochure annuelle sur les centres de séjour, un livret-guide illustré de 70 gravures, un album de luxe avec 20 vues de grand format, le journal « Vivarais-tourisme-séjour »  et de belles affiches illustrées.

 Brochure illustrée, 1905, 95 J, collection du syndicat d’initiative du Vivarais.

Cette propagande est d'ailleurs complétée par celles des C.F.D. qui publient également des brochures avant 1914, élégamment illustrées, en couleurs, par les ruines de Rochebonne, un viaduc pittoresque du chemin de fer, le Mézenc et l'inévitable troupeau de chèvres, déjà emblématique de l'Ardèche.

 Les nouveaux hôtels de Saint-Agrève, vers 1910, 79 Fi 2204, collection Durrenmatt.

Vals-les-Bains n'est donc plus le seul centre et une plaquette du C.F.D. d'avant 1914 décrit Saint-Agrève comme une « station d'été de premier ordre », dotée de 10 hôtels, « d’élégantes villas nouvellement construites, appartements meublés avec tout le confort et tout le luxe modernes ». Saint-Agrève connait alors une sorte de boom de la construction, vers le quartier de la gare notamment, lisible sur le cadastre et les cartes postales. Albin Mazon, fidèle de la station, affirme dans Le courrier du bon air, publié pour les touristes, que la fréquentation a doublé en 1904 par rapport à 1903 (en 1903 : 600 « étrangers » résidant de 8 jours à 2 mois, 2 000 visiteurs passant un jour ou deux). La liste des étrangers publiée dans le numéro du 14 août 1904 du même journal montre clairement que la station draine la clientèle urbaine de la région lyonnaise (35% de Lyon et Saint-Etienne), du Midi (plus de 25%), de la Drôme (15%) et de l'Ardèche (plus du tiers, essentiellement d'Annonay), les Parisiens ne représentant que 5%.

Pour revenir à l’annonce de propagande parue en 1907, elle révèle la question des initiatives des Ardéchois en ce domaine, tantôt entreprenants, tantôt inquiets devant l'envahissement des étrangers et tantôt ravis des réactions « touristiques » face aux menaces pesant sur l'environnement (barrage dans les gorges de l'Ardèche en 1906, projet de chemin de fer passant près du lac d'Issarlès...). C’est toujours une question d’actualité, comment conduire une politique touristique à la fois, source de revenus et protectrice de l’environnement ?