Les enfants assistés venus d’ailleurs

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Les sources sont très éparses mais quelques documents conservés permettent d’entrer dans cette histoire. En revanche, les dossiers des enfants placés chez des nourrices ou des patrons ardéchois ne sont pas conservés en Ardèche mais dans le département d’origine, c’est-à-dire celui où l’enfant a été abandonné.

 

Les enfants placés en Ardèche restent à la charge et sous la surveillance des hospices de leur département d’origine. Mais l’éloignement empêche d’exercer concrètement cette surveillance. Ainsi, en 1817, les administrateurs des hôpitaux civils de Lyon écrivent aux maires et aux curés des communes où sont placés des enfants de l’hôpital général de la Charité pour leur demander de les seconder dans cette tâche. Ils dénoncent également des abus : « la cupidité, profitant de l’isolement et de l’abandon de ces enfants, en fait dans leur bas âge, un trafic honteux, les frustre, dans un âge plus avancé, du salaire que méritent leurs services, et les laissent croupir dans l’ignorance de tout devoir ». Il s’agit de reproches récurrents faits aux nourrices dites « mercenaires ».

À partir de 1818, pour obtenir la garde d’un enfant ou le paiement des gages des nourrices, les hospices de Lyon exigent un certificat signé du maire et du curé. Les administrateurs insistent également sur la nécessité de l’instruction religieuse et pour l’encourager offrent une gratification à tous les maîtres et patrons qui feront passer leur première communion aux enfants de tout âge avant les fêtes de Pentecôte 1818. Ces dispositions sont régulièrement rappelées.

 

Cette pratique de placer des enfants en Ardèche donne lieu à de nombreux déplacements d’enfants, dans des conditions souvent difficiles. Il arrive que les plus fragiles meurent seulement quelques jours après leur arrivée.

Aussi, dans le dernier quart du XIXe, la question de la forte mortalité infantile et de la nécessaire protection des enfants du premier âge prend une place importante dans le débat politique. Et en Ardèche, la mortalité infantile est importante : « Notre département a été classé par M. le docteur Brochard de Lyon, parmi ceux où l’industrie nourricière produit les plus funestes résultats. Il a dit d’une manière générale et absolue que la mortalité des enfants trouvés (assistés) était excessive […]. » S’appuyant sur une étude statistique, le conseil général démontre que la mortalité des enfants placés en nourrices venant d’ailleurs est plus forte que celles des petits ardéchois. Pour le conseil général, les enfants de filles-mères issues des campagnes ou des petites villes sont en meilleure santé que ceux provenant des grands centres urbains comme Lyon ou Marseille. En outre, les enfants abandonnés dans un hospice de l’Ardèche sont immédiatement placés en nourrice, à la différence des bébés des villes qui resteraient plusieurs jours dans les hospices dépositaires. Le transport et le changement d’air accentue cette mortalité. Enfin, les nourrices sont accusées de négligence quant à la nourriture et au soin donnés à ces enfants.

 

En 1885, le nombre des enfants venus d’ailleurs est si important - car aux enfants trouvés et abandonnés dans d’autres départements et placés en Ardèche s’ajoutent les enfants des ouvrières des grandes villes qui placent leurs enfants en nourrice en Ardèche - que des bureaux de placement sont créés. Marie Tastevin souhaite en ouvrir un aux Vans pour assurer le placement d’enfants venus du Gard, de la Lozère et de l’Ardèche. Et au début du XXesiècle, on trouve à Tournon une sous-inspection dépendant du service des enfants assistés du Rhône ; le département des Bouches-du-Rhône dispose d’une agence de placement à Aubenas.

 

Au début du XXe siècle, les questions financières reviennent également au premier plan. La loi sur les enfants assistés de 1904 prévoit que le domicile de secours des enfants est fixé dans le département où l’enfant est recueilli. Si de nombreux enfants d’autres départements sont placés en Ardèche, de nombreux enfants ardéchois sont aussi placés dans d’autres départements : « Jusqu’ici, les pupilles de l’Ardèche se recrutaient en partie dans les départements voisins, notamment dans le Rhône, les Bouches-du Rhône, la Drôme, le Gard, etc. où émigrent les filles de l’Ardèche, soit pour s’y placer soit uniquement pour y faire leurs couches. De 1899 à 1903, l’Ardèche a dû accepter la charge de 145 enfants recueillis dans ces départements. » Avec la fixation du domicile de secours dans le département où l’enfant est recueilli, le département espère voir la charge des enfants assistés diminuer, le nombre d’enfants recueillis en Ardèche venant d’autres départements étant moins important.